UNE MAISON QUI VIT

 Cette maison est vivante

Il est difficile de décrire d’une autre façon l’impression que m’a laissée cette maison pendant les 6 semaines durant lesquelles j’ai participé à ce projet.
Je me suis trouvée à la porte de la Maison Maria Skobtsova un soir d’octobre sans trop savoir où j’allais  exactement : c’était ma première expérience de volontariat et aussi mon premier long séjour, hors de Barcelone, ma ville natale. L’information la plus claire que j’avais reçue avant d’arriver, était en fait la seule qui m’importait réellement : « Nous ne te demanderons pas que tu parles français ou anglais, nous n’espérons de toi aucune formation ou expérience préalable ; nous attendons seulement que tu considères et traites les personnes qui vivent ici comme tes sœurs et frères, tous fils d’un même père. »


Ma foi en Dieu n’avait commencé à grandir en moi quelques mois avant de venir, c’était donc un message surprenant et inconnu pour moi. Je ressentais une certaine insécurité mais, par-dessus tout, je débordais de joie, cette joie particulière qui vient de l’esprit. Dès que j’ai franchi le seuil,  lorsque Rachel et Joseph m’ont accueilli chaleureusement dans ce couloir plein de photos, j’ai reconnu alors cette même joie et compris que j’étais arrivée au bon endroit.

La maison est un lieu d’accueil pour personnes qui ont besoin d’un endroit sûr où vivre alors qu’elles traversent un moment vital très complexe. Ce sont des personnes qui font l’expérience d’une époque de profonds changements, très souvent après avoir été obligées d’abandonner pratiquement tout ce qui structurait leur vie avant de se mettre en route à la recherche d’une vie plus digne et plus juste pour leur famille.

A ce moment-là, la maison était réservée aux femmes seules, ou avec des enfants, prenant en compte leur condition de grande vulnérabilité pour affronter les multiples risques d’un projet migratoire. Chaque personne avec son histoire,  un sac à dos rempli de souffrance, de deuils, de nécessités non satisfaites, de plaintes, de supplications et pleurs ; il fallait absolument apprendre à être un soutien sans se laisser envahir par leur propre tristesse, chercher comment se situer devant ces histoires de souffrance qui parfois étaient si loin de ma propre histoire.

Cependant, ce qui caractérisait toutes ces femmes que j’ai connues là, au-delà de la douleur et de la peur, c’était la lumière de l’espérance.

Cela apparaissait finalement dans chaque histoire qu’elles racontaient où la force avait vaincu le désespoir, où elles avaient fait preuve de courage pour sortir d’une situation injuste, où l’amour pour leurs enfants et les êtres chers les avait poussées à tout assumer afin d’entreprendre un voyage risqué.

Cette lumière qui ne peut provenir que de l’esprit, continuait à palpiter jour et nuit : à chaque essai pour traverser, en chaque repas partagé, dans toute prière silencieuse.

Au-delà de leurs différences, malgré l’ombre qui pouvait peser sur leur vie, chaque personne arrivait à trouver sa manière d’apporter à la maison son rayon de lumière personnel.

L’atmosphère émotionnelle pourrait se décrire comme une combinaison colorée de stress, joie, tristesse, peur, humeur, conflits et réconciliation constantes.

Ce n’est facile pour personne de vivre avec d’autres, avec une dizaine d’hôtes avec qui on ne partage ni la langue, ni la culture, ou parfois même pas les valeurs essentielles.

En tant que présence permanente dans ce lieu, j’ai dû apprendre à me situer dans cette montagne russe qu’est la vie en communauté. Parfois j’étais comme une hôtesse surchargée tout en restant maternelle; parfois je me sentais comme la petite fille aimée et choyée.

Il pouvait arriver que personne ne semblait vouloir écouter l’autre ; à d’autres moments naissait un climat d’amitié fraternelle, grâce à une parole simple ou lorsqu’ensemble nous riions de quelques plaisanteries. Parfois on servait en silence, presque invisibles ; d’autres fois nous partagions les taches dans une joyeuse ambiance. Chaque jour, un peu de tout et tout en même temps.

Ce fut un défi de se situer dans chaque mouvement de cet engrenage humain vivant et palpitant, processus dans lequel heureusement l’équipe des volontaires cheminait unie.

Ce fut aussi une grande richesse de pouvoir connaitre le témoignage de tellement de personnes d’origine différente, d’âge différent qui avait décidé de donner leur énergie et motivation aux différents projets d’accueil de la localité. En plus de ma profonde admiration, je peux dire que je garde d’elles la chance d’une amitié sincère vécue.

Dans le vivre ensemble, le cœur de chaque hôte bat au rythme de la maison elle-même comme si celle-ci avait une entité propre. C’est facile de reconnaitre l’Esprit Saint brûlant entre ces murs jaunes,  dans tous les dessins au mur, dans le garde-manger toujours rempli de provisions pour pouvoir ajouter, si besoin, un plat de plus, dans les cuisinières qui préparent des plats de tous les coins du monde pour les partager dans le repas commun, laissant de côté toute différence.

Reconnaitre cet esprit aussi dans les embrassades pour souhaiter bonne chance, dans la prière pour la vie des autres, dans les petits gestes d’attention, dans les larmes des adieux sans savoir quand on se reverra, sentant que chacun emporte avec soi une partie de l’autre. C’est la maison qui embrasse chaque personne qui entre, c’est la maison qui procure sécurité et nourriture, c’est elle qui console et offre ses soins. C’est elle qui pleure quand, au passage inexorable du temps, arrive le moment de partir.

Grâce à la volonté de vivre ensemble dans une véritable communion, dépassant toute différence qui pourrait nous diviser, personnes hébergées et volontaires, nous sommes la même chose, sœurs assises toutes à la même table, nous servant les unes les autres. Grâce à l’admirable et persévérant effort, des personnes ont fait de la maison leur projet de vie, se dévouant chaque jour avec vaillance et énergie pour maintenir la véritable ardeur de son esprit. Cette maison respirera et son cœur continuera à palpiter.

 Et moi aussi, elle m’a accueillie, elle a fait battre mon cœur au rythme du sien, je m’y suis sentie aimée et choyée.

Je serai toujours reconnaissante d’avoir partagé la vie de cette maison si vivante aux côtés de tant de personnes courageuses et étonnantes. Malgré le temps qui passe et la distance, mon cœur n’oubliera la Maison Maria Skobtsova, une maison vivante.

Clara

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‘Pourquoi Dieu fait-il cela ?’